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                             Le secret d'un chat
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Et voilà le chapitre III !
Enfin !

Chapitre III :

      Dès que ce grondement sourd s'était fait entendre, Panschèle avait prit peur. Terrorisée, elle avait essayé de prévenir Patte d'Or, déjà arrivée de l'autre côté, mais son amie était trop loin et ses miaulements était couverts par ce bruit assourdissant. La jolie chatte était désormais tétanisée, le regard fixe, regardant impuissante, le chaton terrifié.
      Soudain, dans un élan de courage et d'amour, elle vit Patte d'Or bondir sur la chaussée et saisir son chaton par la peau du cou. Elle le projeta sur le bas côté, en un geste désespéré, et sa bouche s'ouvrant sur un dernier cri, l'énorme Créature*, comme l'appelait les chats errants, passa sur elle.
      Panschèle hurla et se précipita sur la route, sans se préoccuper du chaton sonné qui avait atterri à ses côtés après un magnifique vol plané. Elle lécha l'oreille de son amie, en un profond geste de tendresse. Celle qui avait partagé sa vie depuis qu'elle était toute petite. Elles avaient tout connu ensemble ! Leurs joies, leurs peines, elles avaient tout partagé. Panschèle ne pouvait supporter de la perdre. Elle ne peut pas … Non …
- Patte d'Or ! Patte d'Or ! Réveille toi ! S'il te plaît …
La Créature* était passé sur son flanc et sa fourrure était imbibée de sang. Une de ses pattes avait souffert et elle ne semblait plus pouvoir bouger. Elle reposait, molle, sur l'asphalte dans une flaque de sang. Panschèle eut un haut-le-cœur à cette vision et n'en fut que plus déterminée à sauver son amie. Les yeux verts de la jeune chatte s'ouvrirent, vides et ternes, et d'une voix étouffée par la souffrance, elle lui murmura ces dernières paroles :
- Étoile de Minuit … Prends soin de mon petit … Je t'en supplie …
- Non ! Patte d'Or ! Ne meurs pas ! Tu … tu as encore tant de choses à faire dans ce monde … Et puis pense à moi, s'il te plaît … supplia la belle chatte, prise de panique, les yeux embués de tristesse.
Mais tout ce que put dire Panschèle ne servit à rien, les paupières de Patte d'Or lui fermèrent les yeux à jamais et elle rendit son dernier souffle. Un frisson parcourut le dos de la belle chatte rousse et elle retomba inerte.
      Les yeux embués de larmes, Panschèle prit celle qui avait été sa complice de toujours par la peau du cou et avec toute la délicatesse dont elle était capable, elle la ramena sur le bas côté. Pendant des heures durant, elle essaya de la réveiller ne pouvant accepter la dure réalité. Comprenant que son amie resterait inerte quoi qu'elle fasse, Panschèle poussa un dernier miaulement de désespoir avant de s'écrouler dans l'herbe, exténuée et abattue.
      Fermant les yeux, la femelle sentit un petit corps chaud se lover contre elle et elle ouvrit ses yeux, dans lesquels on lisait toute la tristesse et le désespoir du monde. Plume de Feu s'était couché contre elle et la regardait, interloqué.
- Que se passe-t-il ? Pourquoi tu pleures ? questionna le chaton, intrigué.
- Je ... Tu ... Tu n'as plus de maman ... Tu l'avais compris ? Non ... ?
- Pourquoi tu dis ça ? Elle est juste à côté, en train de dormir ...
- Oui, mais ... elle ne se réveillera pas ... lui répondit-elle sa vois se brisant sur les derniers mots.
Le chaton leva des yeux inquiets vers elle, pris de panique :
- Plus ... plus jamais ?
-
Non ... Non, plus jamais ...
- Mais ... mais c'est ma maman ! Je ... je ne veux pas qu'elle disparaisse ...
- Tout comme moi, murmura la femelle une tristesse poignante vibrant dans sa voix, pourquoi ? Pourquoi nous avoir fait ça ? Le monde, tel qu'il est aujourd'hui, n'a rien à envier au plus sombre des enfers ... Tout, qu'importe l'endroit où l'on se trouve, qu'importe qui l'on est, ce que l'on ait fait, tout peut être dangereux, nous vouloir du mal ou alors nous faire souffrir ... Pourquoi ... pourquoi ? implora-t-elle, une souffrance infinie dans la voix, les larmes aux yeux, Patte d'Or ... Patte d'Or ... Patte d'Or ! »
La belle chatte rejeta la tête en arrière et poussa un miaulement empreint d'une douleur telle que l'on ne pouvait l'imaginer. Elle resta un instant comme cela, assise, les yeux fermés.
     Son âme, choquée et bouleversée, ne comprenait plus ce qu'il se passait. Panschèle se sentait infiniment petite, par rapport à la puissance de la mort, elle, qui pouvait l'emprisonner à jamais derrière ses barreaux de souffrance et de tristesse. Mais, soucieuse de ne pas inquiéter Plume de Feu, elle fit comme si de rien était et rouvrit les yeux.
      Les deux félins torturés firent leur toilette en silence avant de s'endormir, les sentiments et les émotions se bousculant dans leurs esprits troublés ...
      De très grands arbres noirs, sans aucune feuille, se dressaient jusqu'au ciel tout aussi noir qu'eux, de longues ombres formant dans l'obscurité, des dangers inconnus ... Mais où puis-je bien être ? se demanda la femelle. Soudain, Panschèle entendit un grondement sourd semblable à celui qui ... Non... je ne veux pas m'en rappeler ... se souvint Panschèle. Soudain, une gigantesque Créature noire et brillante surgit des profondeurs de la forêt et fonça droit vers elle. Tétanisée celle-ci ne pouvait plus bouger, puis tout devint très flou ... Une lumière éblouissante, une odeur insoutenable ... Et un flash de lumière blanche, aveuglante ... puis plus rien ...
      Panschèle se réveilla en sursaut, haletante, ses oreilles rabattues sur son crâne. Elle regarda tout autour d'elle, rassurée, avant de reposer sa tête sur ses pattes. Un simple cauchemar ... Elle sentait que, désormais, ils risquaient de faire partie de son quotidien.
      Le soleil n'était pas encore levé mais la femelle se leva quand même, sachant qu'elle ne pourrait s'assoupir de nouveau. Elle laissa Plume de Feu dormir et se rapprocha du corps de son amie.
      A peine s'en était elle approché qu'elle sentit les larmes lui monter aux yeux. La jolie chatte les retint et s'allongea auprès de Patte d'Or. Elle enfouit sa truffe dans son pelage de feu et essaya de s'imprégner de son parfum une dernière fois mais elle ne sentit que l'odeur froide et cruelle de la mort qui enveloppait le corps de la femelle.
      J'ai tout perdu ... Ma mère, à cause d'une maladie qui la rongeait. Ma sœur, à cause du froid mordant de l'année où nous sommes nées. Ma meilleure amie, à cause d'une « voiture » comme l'appelle les Deux Pattes*. ressassa Panschèle, mais pourquoi ? Pourquoi le malheur s'acharne-t-il ainsi sur moi et sur ceux que j'aime ? Pourquoi la vie est-elle si infime et insignifiante par rapport au monde qui nous entoure ? Pourquoi le désespoir et la souffrance s'abattent-ils sur ce monde où les Deux Pattes* règnent en maître ? Tant de questions ... et pourtant ... aucune réponse ...
       La belle femelle poussa un long soupir et ferma les yeux, allongée auprès de celle qui avait été sa meilleure amie, laissant sa fourrure se faire mouiller par la bruine qui tombait, comme si le ciel pleurait lui aussi la mort de Patte d'Or.
       Lorsque Panschèle rouvrit les yeux, le soleil venait à peine de se lever et Plume de Feu s'était déjà réveillé.
- On rentre à la maison ? demanda le chaton, arborant un air grave qui ne lui était pas familier
-
Oui, bien sûr.
      Les deux félins se mirent en route, la queue basse. Panschèle avait prit Patte d'Or par la peau du cou et prenait garde à ce que son corps ne traîne pas dans la poussière. Ils firent le trajet sans bruit, n'osant rompre le silence sépulcral de la forêt. Même les oiseaux avaient arrêté de chanter.
       Quand les deux chats arrivèrent dans la clairière, tout le monde ou presque était déjà éveillé et le silence se fit quand ils aperçurent le corps de la femelle rousse qui pendait mollement entre les mâchoires étroitement serrées de Panschèle. Ce fut Oreilles Fendues, le chef, qui prit la parole en premier, une lueur d'inquiétude scintillant dans ses yeux :
- Que s'est-t-il passé ?
-
Elle ... elle a essayé de traverser une route avec ... son chaton et une Créature est arrivée. Elle a choisit de privilégier la vie de Plume de Feu.
- Oh ... Je ... je comprends. Nous nous occuperons du rituel dans quelques jours ... balbutia le vieux chef, confus, mais ... il faudrait que quelqu'un s'occupe du chaton ...
- Je peux m'occuper de lui jusqu'à ce qu'on lui trouve quelqu'un, proposa la femelle
- Très bien, je suis d'accord, approuva Oreilles Fendues, avant de faire volte-face et de rejoindre Nuit Étoilée, son lieutenant avec qui il était en grande discussion.
Panschèle alla déposer le corps de Patte d'Or au pied du grand rocher qui surplombait la clairière avant d'aller se coucher non sans lui avoir jeté un dernier regard torturé. Elle se dirigea vers le Buisson Lumineux* et ils choisirent un endroit bien confortable, tapissé de mousse et de pensées immaculées. La belle chatte s'allongea aux côtés de Plume de Feu et essaya de se reposer tant bien que mal, la peur de revivre le même cauchemar lui nouant l'estomac. Comprenant que cela lui serait impossible, elle ouvrit les yeux et laissa son âme vagabonder.
       Si seulement, si seulement j'avais été là lorsqu'elle avait besoin de moi ... Je l'aimais tant, je tenais tant à elle ... Pourquoi attend-t-on toujours que les personnes ne soient plus là pour leur dire qu'on les aimait, que l'on ne souhaitait pas leur départ ? Pourquoi n'ais-je donc rien fait ? J'aurais mérité de mourir à sa place ! Comme amie, je suis vraiment pitoyable ! Panschèle se torturait l'esprit à la recherche de réponses mais elle ne réussissait qu'à se faire sombrer encore un peu plus dans le désespoir. Mais comment ne pas souffrir lorsqu'on a tout perdu, que l'on a plus rien ?
      La belle femelle remarqua Nuit Étoilée qui s'approchait d'elle d'un pas souple accompagnée de Perle de Neige, une jolie chatte aux longs poils neigeux. Le camp entier avait connaissance de sa surdité mais cela ne la dérangeait pas tellement car Nuit Étoilée avait imaginé un langage signé qui lui permettait de se faire comprendre. Nuit Étoilée la regarda avec compassion et prit la parole avant que Panschèle ait put ouvrir la bouche :
- Écoute, Étoile de Minuit, je sais que c'est dur, mais il faut tourner la page. Je ne pense pas que Patte d'Or, où qu'elle soit, aimerait que tu reste ainsi, à te désespérer sur ton sort. Il faut toujours se relever. Je sais ce que tu vas me dire, l'interrompit la femelle en voyant qu'elle s'apprêtait à parler, la vie est cruelle mais tu dois surmonter ta peine, qu'importe le reste.
- Je le sais bien mais, c'est si dur !
- Tu sais, j'ai connu cela moi aussi. Ma mère est morte quand j'avais un an, murmura-t-elle en baissant la tête, et c'est grâce à Perle de Neige que j'ai réussi à continuer de vivre.
- Vivre ... Pourquoi continuer de vivre alors que je n'ai plus rien qui me rattache à ce monde ?Nuit Étoilée resta interdite à cette réponse. Elle échangea un regard avec Perle de Neige. Nullement besoin de mots pour comprendre que Panschèle était en pleine dépression. Mais cette dernière interrompit leur dialogue muet.
- C'est de ma faute, si Patte d'Or est ... n'est plus là aujourd'hui ... avoua la belle chatte noire
- Bien sûr que non ! La Créature serait arrivée quoi que tu ai pu faire.
Ces paroles provoquèrent un véritable accès de rage chez Panschèle. Elle releva la tête et fixa Nuit Étoilée de ses yeux emplis de douleur. Celle-ci recula d'un pas, apeurée par la brusque aura de rage et de haine qui avait afflué autour de la femelle. Ses poils s'étaient hérissés sur son échine et ses oreilles s'étaient plaqués contre son crâne. La femelle découvrit ses crocs et cracha :
- Tais-toi ! Tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu n'étais pas là à ce moment-là ! Tu n'as pas pu voir ce qu'il s'était passé ! Ne parle pas de ce dont tu ne sais rien ! Allez-vous en maintenant !
Elle feula une dernière fois, et abandonnant les deux femelles choquées, se dirigea vers la pile de gibier. Elle n'avait pas mangé depuis la veille au matin et Plume de Feu non plus. Afin de calmer les gargouillements incessants de son estomac, la femelle prit une grive pour elle même et choisit un écureuil, plutôt dodu pour la saison, afin de le donner au chaton roux.
       Elle rejoignit ce dernier, réveillé brusquement lors de sa violente dispute avec Nuit Étoilée. Mais elle jette des paroles en l'air, sans savoir de quoi elle parle, essaya de se convaincre Panschèle. Mais en réalité, la femelle s'en voulait de s'être laissée emporter. Elle avait perdu les seules personnes qui avaient essayé de l'aider depuis qu'elle était arrivée au camp.
      Elle donna l'écureuil à Plume de Feu et grignota la grive sans grande conviction. Le chaton, lui, se remettait assez bien du choc. Ou bien mieux qu'elle en tout cas. Il était encore jeune et n'avait pas bien compris l'importance de ce qu'il était arrivé à sa mère. Panschèle enviait son insouciance et sa naïveté.
      Celle-ci aimait beaucoup le jeune chat roux mais, il lui rappelait tellement Patte d'Or qu'elle préférait que ce soit un autre félin qui s'en occupe. Elle se recoucha et s'endormit.
      Elle était de nouveau près de cette route mais, cette fois-ci, il faisait nuit. Tout à coup, elle entendit un bruissement de l'autre côté de la route. Surprise, elle fixa les buissons mais elle ne voyait rien. Puis, lentement, très lentement, une forme féline en sortit mais pas n'importe quel félin, c'était Patte d'Or. Enfin, on aurait dit que c'était elle.
      Le chat qui était sortit des taillis avaient la même apparence que Patte d'Or. Mais ses yeux étaient rouges et cruels. Ses longs poils, d'ordinaire si bien entretenus, pendaient en grosses touffes sales. C'était une créature telle que les fabriquent les rêves et les cauchemars, effrayante et angoissante. Panschèle s'approcha du bord de la route et demanda d'une voix mal assurée :
« - Patte d'Or ? C'est ... c'est toi ? »
Sa question resta sans réponse. La créature continuait de la fixer et prit la parole :
- Panschèle ...
Sa voix était indescriptible. Elle grinçait à l'oreille et sifflait tel un serpent. Elle avait résonné tout autour de la jeune chatte terrorisée.
-Panschèle ... répéta-t-elle de la même voix diabolique, tout est de ta faute ... Tu le sais ?
La créature avait dit cela d'un air moqueur. Elle faisait souffrir la femelle et le savait.
- C'est à cause de toi ! hurla-t-elle, d'une voix aiguë, insoutenable, si tu n'avais pas été là ... si tu ne m'avais pas fait attendre au bord de la route ... Je serais vivante !
Ce dernier mot résonna tout autour d'elle et Panschèle vit Patte d'Or, ou tout du moins, la chose qui en avait l'apparence, se transformer en une gigantesque Créature semblable à celle qui avait tué Patte d'Or. Celle-ci, vrombit, et fonça droit sur elle, en soulevant un nuage de poussière ...
Panschèle se réveilla en sursaut. Elle était en sueur mais surtout terrifiée par son cauchemar. Encore un ... Elle n'en pouvait plus, exténuée par ses nuits où les cauchemars, fruit du désespoir de ses journées, refaisaient surface et la terrorisaient. Mais son attention était occupée par un autre problème.
       Pendant qu'elle rêvait, elle s'était retournée, avait agité les pattes, si bien que la plupart des félins, qui s'étaient couchés à ses côtés, avaient été réveillés y compris Plume de Feu et maintenant, ils pestaient contre elle :
- Mais qu'est-ce que t'as ? gronda un matou menaçant, les poils hérissés par la fureur
- Tu ne pourrais pas dormir tranquillement, comme un chat normal ? répliqua un autre félin aux pattes robustes
- Une abeille lui a piqué les fesses ou quoi ?
- Arrêtez !
C'était Nuit Étoilée qui avait parlé. Elle regardaient les trois félins agressifs d'un air menaçant et ces derniers se recouchèrent en grommelant. Mais ils ne voulaient pas manquer de respect à leur lieutenant.
- Vous devriez savoir, que Patte d'Or, morte il y a peu, était la meilleure amie d'Étoile de Minuit. Il est normal, qu'elle fasse encore des cauchemars et, il serait indécent de ne pas respecter sa peine, fit-elle remarquer d'un air grave, maintenant, rendormez-vous.
Surprise par cette aide inattendue, Étoile de Minuit n'avait pas dit le moindre mot, mais elle se rattrapa en couvrant son lieutenant de remerciements mais aussi d'excuses pour son précédent brusque accès de fureur envers elle.
- Ne t'en fais pas. Je ne t'en veux pas. Je sais que c'est dur de perdre un proche et … c'est moi, qui m'excuse si je t'ai blessée inconsciemment.
- Merci.
- Combien de cauchemars as-tu fais depuis la mort de Patte d'Or ?
- Deux, dont je me souviennes ... avoua la femelle, en baissant la tête, et à chaque fois, il s'est terminé par une Créature qui fonçaient sur moi ... Comme pour me punir ...
Nuit Étoilée la regardait avec compassion et, soucieuse d'essayer de lui changer les idées, elle lui proposa d'aller chasser, le lendemain avec plusieurs autres félins. La femelle accepta et, sur ce, leurs chemins se séparèrent.
      Panschèle retourna auprès du petit Plume de Feu. Elle se coucha discrètement en essayant de ne pas réveiller les autres félins. Elle n'avait nullement besoin de les mettre davantage en colère. Puis elle se rendormit, sans rêver cette fois-ci, ni de Patte d'Or, ni de Créature.
      Lorsque Panschèle se réveilla ce matin-là, la première chose qu'elle remarqua fut qu'elle ne s'était pas réveillée à cause d'un cauchemar. Mais, lorsqu'elle ouvrit les yeux ... Elle vit immédiatement l'épais manteau blanc qui avait recouvert la clairière durant la nuit, tandis qu'un froid polaire faisait trembler aussi bien les félin aux poils ras que ceux aux longs poils épais. La jolie femelle noire se leva et, quittant le petit nid douillet où elle s'était couchée, elle partit explorer les environs enneigés.
       Elle rejoignit la petite troupe que Nuit Étoilée avait formé et leur déclara :
-
Je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui, la chasse soit très fructueuse.
- Et tu as tout as fait raison, affirma Nuit Étoilée, c'est pour cela que nous allons changer notre emploi du temps et aller dans la forêt près du ruisseau pour savoir quelles proies ont survécu afin de conseiller aux prochains chasseurs les lieux les plus giboyeux.
- Nous partons tout de suite?
- Oui, venez, Patte d'Orage, Brin de Moustache, Perle de Neige, nous y allons !
C'est donc en compagnie de ces quatre félins qu'Étoile de Minuit, s'aventura dans la forêt enneigée, en ce froid matin de la Saison des Neiges.
      Quittant la Clairière exposée au vent et au froid, il retrouvèrent le confort dérisoire de la Forêt. Le sol y était couvert de neige et, chaque fois que les chats faisait un pas, la neige s'écroulait sous leur pattes, leur glaçant leurs tendres coussinets roses. Encore quelques flocons tombait du ciel en virevoltant et venaient se déposer dans l'épaisse fourrure des félins frigorifiés. Les arbres, mis à nu par le rude hiver qui s'annonçait, étaient désormais couverts d'une neige immaculée et étincelante. Dans leur ramure, quelques oiseaux solitaires chantaient encore l'espoir d'un printemps à venir.
      Mais tout cela, faisait-il oublier à la belle femelle noire, sa tristesse et son chagrin ? Malheureusement, ... non. Car Panschèle, malgré sa joie apparente, était restée en son intérieur, très froide et réservée. Elle s'émerveillait de la beauté de la nature qui s'étalait devant ses yeux mais elle pensait encore à Patte d'Or.
      Si elle n'était pas morte, se disait-elle, elle aurait vu toute cette beauté ... Cette beauté ... œuvre de la nature ... Mais n'est-ce pas la nature qui a fait que la mort, froide et cruelle, succède à la vie, chaleureuse et pourtant emplie de nostalgie ? Cette beauté ne serait-elle pas qu'une façade pour occulter un monde abandonné soumis à la terreur et à la cruauté ? La nature est-elle si contraire et abstraite ? La mort ... et la vie. La beauté et ... la cruauté. N'est-elle pas pourtant sensée donner un sens à nos vies ?
      La belle chatte se démenait l'esprit avec des questions abstraites dont les réponses lui échappaient. Personne ne se doutait de la douleur intérieure de la femelle et l'apparente raison de Panschèle trompait tout le monde. Car ce qui la rongeait était pire que la folie …
       Mais lorsque les félins arrivèrent au bord du Ruisseau*, aucun bruit ne vint troubler le silence de la forêt. La petite troupe se rapprocha, du Ruisseau interloquée. Mais, il était bel et bien gelé.
- Oh non ! J'espère que les autres points d'eau ne sont pas non plus gelés … Nous risquons de manquer d'eau si c'est le cas, se désespéra Nuit Étoilée.
Les autres chats ne prononçaient pas le moindre mot, abasourdis. Comment le Ruisseau*, qu'ils pensaient indomptable avait-il put être fait prisonnier ainsi par la glace ? Mais, indifférente à tout ce qui pouvait se passer, Panschèle les ignorait complètement et se moquait de ce qu'il pouvait bien advenir du Ruisseau*.
      Elle n'en pouvait plus. Les sentiments et les émotions, se mélangeaient dans son esprit, si bien qu'elle ne savait même plus ce qu'elle ressentait. Depuis sa mort, Panschèle n'avait arrêté un seul instant de penser à Patte d'Or. C'était encore trop frais dans sa mémoire. Mais à chaque fois, y penser, la brûlait au sein même de son corps. Une brûlure, si vive et si douloureuse à chaque fois, que la jolie chatte en aurait hurlé à la mort.
        La ramenant à la réalité, Nuit Étoilée leur indiqua, la direction à prendre. Ils devaient chercher des proies afin de recommander aux prochaine patrouilles de chasse les endroits les plus giboyeux. Panschèle partit sur l'autre rive du Ruisseau. Non loin de celui-ci, aux côtés d'une touffe d'herbe rabougrie, elle repéra un terrier de lapin et huma l'air glacial. D'après son flair, il n'y avait dans ce terrier, plus de lapin depuis un bon moment. Elle fit volte-face et se dirigea en amont du ruisseau.
        Soudain, les pattes de la femelle se dérobèrent sous elle-même et elle s'écroula contre le sol enneigé. Un spasme parcourut son corps jusqu'à la pointe de sa queue, et elle retomba, inanimée. Un flash blanc lui apparut puis, plus rien. Le vide. Le néant.
         Perle de Neige, situé en aval de la petite rivière gelée aperçut la belle chatte, allongée contre le sol, ses longs poils de nuit formant autour d'elle une sombre auréole. Angoissée, elle essaya d'appeler Nuit Étoilée, ou qui que soit d'autre qui puisse lui venir en aide, mais, de sa bouche, ne sortit qu'un triste miaulement déformé, qui n'aurait même pas fait peur à une simple souris.
       Prise de panique, elle ne savait que faire, puis, elle se ressaisit et saisit la jolie femelle noire par la peau du cou. Elle fit un pas téméraire, mais elle trébucha et s'étala de tout son long dans l'épaisse neige qui recouvrait le sol, ainsi que Panschèle. Je n'arriverais jamais à la ramener jusqu'au camp ! Je ne suis qu'un poids inutile ! s'écroula la belle chatte immaculée en secouant la tête.
      Malgré ces paroles, elle se releva et entreprit de tirer Panschèle jusqu'au camp. Les crocs serrés sur son cou, les yeux fixant le lointain, Perle de Neige était décidée à ramener sa semblable. Sa seule et unique crainte était qu'elle ne soit suffisamment rapide et que l'âme torturée de Panschèle aie déjà quitté ce monde.
       La belle femelle au pelage de neige tirait la belle chatte au pelage de nuit depuis déjà un bon moment et elle était épuisée. Elle commençait à sentir des tiraillements dans la mâchoire et ses pattes peinaient à supporter le poids des deux femelles. Ses coussinets, abîmés par le froid, la brûlait mais elle ne voulait, elle ne pouvait abandonner Panschèle.
       Lorsqu'elle fit irruption dans la Clairière du Grand Chêne*, exténuée, la fourrure couverte de flocons, les yeux exorbités, portant dans sa gueule le corps de Panschèle, un silence de mort se fit dans la jolie clairière enneigée. Oreilles Fendues s'approcha de Perle de Neige et, fit de grands mouvements avec sa queue, afin de lui demander ce qu'il s'était passé. Il comprit enfin que la femelle s'était écroulée sur le sol, et que Perle de Neige, inquiète, l'avait ramenée au camp.
        Immédiatement, le vieux chef colla son oreille contre le flanc de la belle chatte et, concentré sur un éventuel battement de cœur, il perçut de légères palpitations. Il releva la tête et, regardant les félins alentours, il s'écria, tout en traduisant pour Perle de Neige :
- Elle est vivante !
       Le climat d'inquiétude et de tension retomba aussitôt, laissant place au soulagement. Les félins retournèrent à leurs diverses tâches, apaisés. La mort, ils la connaissait, et, pendant la saison des neiges, ils la côtoyaient presque chaque jour. Mais ils n'avaient nullement besoin d'elle. Seuls les anciens savaient qu'ils la rejoindraient bientôt, mais la pire perte qu'ils pouvaient avoir était celle d'une Boule de Poils* ou d'un chasseur en pleine forme. De plus, Étoile de Minuit était très appréciée et sa perte aurait entraîné encore bien des larmes particulièrement après la disparition de Patte d'Or.
       Comprenant tout cela, Oreilles Fendues regarda Perle de Neige avec compassion. Malgré sa surdité, elle a tout fait pour sauver Étoile de Minuit, se disait-il. Il prit cette dernière par la peau du cou et la déposa auprès des mères et de leurs chatons, qui lui promirent de bien s'occuper d'elle jusqu'à son réveil. Le vieux chef retourna au pied du grand rocher, et entama le pigeon ramier que l'on y avait mis à son attention, tout de même légèrement inquiet pour la belle femelle noire. Il se promit que sa proie terminée, il la rejoindrait afin de s'assurer qu'elle n'ait pas trop souffert.
        Un peu plus tard, Panschèle reprit ses esprits. Elle entendit des miaulements inquiets autour d'elle.
- Elle ne s'est toujours pas réveillée …
- Tu penses que c'est grave ?
- Elle respire encore ?
Intriguée, la belle chatte ouvrit les yeux et découvrit quatre félins assis à ses côtés, une vive anxiété se lisant sur leurs museau, qui disparue à peine eut-elle montré un signe de vie. Elle était installée dans l'herbe envahie de mousse, au pied d'un gigantesque chêne. C'est un des seuls endroits où la neige a disparu, remarqua la jolie chatte. Car tout le reste de la clairière était encore enneigé. La femelle s'attarda sur les félins qui l'entouraient.
      À sa droite, se tenait un chat massif aux larges pattes, dont les oreilles lacérés et l'entaille béante qui courait le long de son museau montrait sa vieillesse mais surtout son ancienne vaillance. Son pelage, constellé de flocons, était d'un blanc pur qui contrastait avec le noir de ses taches. Sa longue queue, quant à elle, allait et venait placidement. Une jolie femelle couleur châtaigne se tenait auprès de lui. Sa fourrure chatoyante paraissait soyeuse et satinée. Elle avait de magnifiques yeux bleus océan qui reflétaient toutes ses émotions. De petites touches de lumières dorées pétillaient à l'intérieur tel de sublimes joyaux. Son regard envoûtant aurait fait succomber n'importe quel mâle.
      À sa gauche, deux jeunes félins se toisait. L'un était gris et ses yeux couleur myosotis fixaient le second avec amusement. Son pelage était d'un gris clair presque crème sur son ventre et d'un gris plus foncé à ses pattes et sur son fin museau. L'autre était tigré et ses grandes oreilles étaient rabattues sur son crâne agacé par l'attitude indifférente et désinvolte du jeune chaton gris.
       Panschèle connaissait tous ces félins mais ... elle ne se souvenait plus quand elle avait bien pu les voir. Ils étaient comme des étrangers mais pourtant ... Tous ces museaux lui étaient tellement familiers !
- Étoile de Minuit ? Tout va bien ?
      Cette dernière tourna la tête, et remarqua que le vieux matou l'observait, avec interrogation. A qui parle-t-il ? se demanda-t-elle, je … je ne sais même plus comment je m'appelle !
      En un instant, la panique s'empara de Panschèle. Elle ne reconnaissait plus personne, tout lui était étranger. Depuis la mort de Patte d'Or, elle n'avait plus jamais été identique à elle-même … Elle était plus réservée et ne parlait presque plus à personne. Mais, maintenant, elle ne les connaissait plus. L'infime lumière qui brillait encore dans son cœur, meurtri par la vive douleur ressentie ces derniers jours, venait de s'éteindre …


Et voilà ! Ce chapitre III est terminé !
Le chapitre suivant arrive bientôt !




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